- HISTOIRE - Histoire des relations internationales
- HISTOIRE - Histoire des relations internationalesLa France est un vieux pays avec un riche passé. Cette situation explique peut-être la propension marquée des historiens de ce pays à traiter essentiellement de leur histoire nationale, quelle que soit la forme (ou le champ) de leur étude. Depuis longtemps et encore aujourd’hui, les travaux de recherche – thèses comme ouvrages de vulgarisation – s’attachent surtout à la vie politique en France, à la société française par catégories ou régions, à la croissance ou aux crises en France, aux mentalités dans notre opinion, etc. Des sondages réalisés pendant les années 1970 à propos des sujets de thèses déposées ou achevées en histoire contemporaine (du début du XIXe siècle à nos jours) montraient à l’évidence que l’histoire «nationale» préoccupait les trois quarts des chercheurs français. À la fin des années 1980, cette tendance reste dominante, même si, çà et là, des historiens français orientent leurs recherches vers l’histoire de quelques pays européens voisins (Allemagne, Italie, Espagne) ou vers quelques zones lointaines (Asie extrême-orientale, Amérique du Nord, Afrique); le faible développement de l’étude des langues étrangères dans nos universités, linguistes exceptés, doit sans doute influencer les choix, tant il est vrai que pour bien connaître un pays étranger, même voisin, mieux vaut en posséder la langue. Quoi qu’il en soit, lors de bilans sur les travaux historiques en France (ainsi les rapports de conjoncture du C.N.R.S., les livres sur les manières de «faire l’histoire»), le regard se porte en général sur l’histoire nationale, comme si celle-là seule existait. Tout au plus admet-on que certains historiens appliquent les bonnes méthodes élaborées à l’usage des problèmes français à des cas étrangers, impliquant que ce qui est bon pour nous est valable pour tous et partout. Quant à ceux qui poussent le mauvais esprit jusqu’à étudier les Français dans leurs relations avec le monde extérieur, ce qui les amène à relativiser l’exemple français, leur cas est encore réglé avec plus de facilité: ils n’existent pas! N’a-t-on pas lu des jugements péremptoires sous la plume de spécialistes éminents affirmant que l’histoire des relations internationales était absente en France !Et pourtant cette histoire existe! Elle est riche, diverse, active. Bien mieux: elle est neuve, ayant réussi à se transformer en ses méthodes, en ses champs d’application. L’ignorance ou la cécité de certains censeurs incite ceux-ci à évoquer, non sans un profond mépris, l’«histoire diplomatique» lorsqu’ils consentent à reconnaître que d’aucuns ont choisi de traiter de l’histoire des relations extérieures de la France ou d’autres États-nations. Il est temps de souligner le renouvellement de ce champ de l’histoire, en montrant quand, comment, pourquoi l’histoire diplomatique a cédé la place à l’histoire des relations internationales .Les originesDans la seconde moitié du XIXe siècle, au temps où l’histoire devenait scientifique en se voulant «objective» par l’utilisation neutre des documents du passé, fondant ce qu’il est convenu d’appeler l’histoire «positiviste», certains chercheurs en France et hors de France développèrent un genre, vite devenu classique, celui de l’histoire diplomatique. Il s’agissait d’analyser, avec toute la minutie possible, l’action des responsables de la politique étrangère des États; l’emploi des documents d’archives ou des mémoires des acteurs de la vie internationale permettait de reconstituer d’abord la trame des négociations internationales, puis de brosser les portraits des héros ou des médiocres en ce domaine, façon nouvelle de revenir à une histoire des hommes illustres inspirée de l’Antiquité. Cette tendance demeura dominante jusqu’à la période de l’entre-deux-guerres. Pouvait-il en être autrement puisque, d’une part, le positivisme imposait ses lois, que, d’autre part, la diplomatie étudiée paraissait dépendre de la volonté de quelques individualités? Les règles d’accessibilité aux documents d’archives fixaient le délai normal d’attente pour l’ouverture des dossiers à une cinquantaine d’années; du coup, vers 1910-1930, on pouvait, au mieux, scruter les relations internationales du milieu du XIXe siècle, époque riche de grands acteurs aux prises avec la formation des États-nations en Europe, tels Bismarck, Cavour, Napoléon III ou Palmerston. Les diplomates eux-mêmes étaient souvent formés dans des institutions comme l’École libre des sciences politiques à Paris (environ 80 p. 100 des diplomates français en poste au début du XXe siècle en avaient suivi les cours), où un Albert Vandal et un Albert Sorel donnaient des lettres de noblesse à l’histoire diplomatique à travers l’histoire des relations extérieures de la France pendant la Révolution et l’Empire. Hors de France, la tendance était identique pour des raisons similaires: la diplomatie relevait de la compétence d’un petit nombre d’individus (chefs d’État, chefs de gouvernement, ministres des Affaires étrangères, grands ambassadeurs); il semblait donc logique de s’en tenir à cette histoire de quelques-uns.La Première Guerre mondiale et ses suites marquèrent une rupture sur deux plans. D’un côté, cette guerre totale, engageant les peuples, marquant chairs et âmes, démontra que les relations internationales cessaient d’être l’apanage de quelques-uns; en 1917-1919, on proclamait la nécessité d’une diplomatie «ouverte», faite par et pour les peuples. D’un autre côté, cette guerre fut réglée par un traité de paix qui non seulement délimitait les gains des vainqueurs sur les vaincus, mais affirmait encore la responsabilité du vaincu dans les causes du conflit. Cet aspect du diktat de Versailles conduisit les autorités politiques allemandes à demander aux historiens allemands d’apporter la preuve de la non-culpabilité de leur pays ou du partage des responsabilités entre les belligérants. Pour ce faire, l’Allemagne commença la publication de documents diplomatiques sur les années de l’avant-guerre (Die Grosse Politik der Europaïschen Kabinetten ). En réponse, les autres puissances répliquèrent par des publications de sources diplomatiques (documents diplomatiques français, britanniques, américains, etc.). L’histoire diplomatique devint une histoire engagée, utilisée par certains politiques à des fins non scientifiques. Elle portait sur une période plus proche, véritable histoire immédiate. Dans ces conditions, l’historien pouvait-il conserver l’impassibilité précédente du positiviste?L’historien prisonnier de son temps? Plutôt marqué par son temps, au point d’interroger le passé en fonction du présent. À sa manière, plutôt vive, voire brutale, Lucien Febvre, un des pères fondateurs des Annales , ne manqua pas de souligner cette transformation du statut social de l’historien; accusant les historiens de la diplomatie de rester des hommes de cabinet, capables seulement de relater «la poussière des faits divers», attentifs aux «agitations de surface», il les fustigea férocement dès les années trente. Ainsi, dès sa naissance, l’École des annales ébranlait l’histoire diplomatique. Elle lui reprochait aussi de laisser de côté la «longue durée», le poids de la conjoncture, les contraintes sociales, les modes culturelles. Le jeu subtil des diplomates était jugé «croûte apparente, superficielle»; il convenait de le replacer dans les grands courants de l’histoire; pour être un historien véritable, il fallait cesser d’adopter seulement le point de vue des chancelleries. L’idéologie marxiste, en net essor après la Seconde Guerre mondiale, vint à son tour renforcer la tendance qui accordait la préférence aux mouvements de fond: l’étude des superstructures de l’État et des représentants des classes sociales dirigeantes offrait un certain intérêt, mais il importait d’analyser d’abord les rapports de production de l’époque, le développement de la lutte des classes, le mécanisme fondamental de l’impérialisme en ses rapports économie/politique. En somme, une très forte remise en cause de l’histoire diplomatique traditionnelle agitait les esprits des années 1950.En publiant sa monumentale Histoire des relations internationales (huit volumes, 1953-1958), Pierre Renouvin sut dégager les voies nouvelles de la recherche dans ce domaine. Dans ces ouvrages et dans un rapport remarquable présenté au congrès international des sciences historiques en 1955, celui qui, avant la guerre, avait été le responsable scientifique de la publication des Documents diplomatiques français et l’auteur d’un manuel classique d’Histoire diplomatique de l’Europe (1929) posa clairement les buts et les méthodes de cette nouvelle histoire. La convergence de trois tendances antérieures de la recherche historique sera à la base de l’histoire des relations internationales: l’histoire diplomatique, attentive aux préoccupations de sécurité, de puissance et de prestige, exprimées par l’action des chancelleries, sera mêlée à l’histoire des «forces sous-jacentes», «des mouvements profonds», ceux de l’économie, des sociétés, retenus par l’École des annales; de même, l’analyse des idéologies, des sentiments, des passions et des mentalités, qu’un grand historien italien Federico Chabod vient de présenter avec bonheur dans sa Storia della politica estera italiana dal 1870 al 1896 (1951), contribuera à éclairer l’ensemble. Grâce à la synthèse entre ces divers courants, il deviendra possible d’écrire une histoire scientifique des relations entre les hommes séparés par des frontières, au sein d’États-nations.Le champ des recherches s’élargit, se diversifie, se complique. L’historien des relations internationales (le changement de titre est significatif) devra se faire tour à tour politiste, économiste, géographe, sociologue, etc., s’il veut embrasser la complexe réalité; il devra utiliser les travaux de ses collègues spécialistes de ces champs de recherche. Vaste programme, trop vaste peut-être, ce qui amène P. Renouvin, réaliste et lucide, à préconiser l’étude de cas concrets pour déterminer, au coup par coup, le degré d’interférence ou l’influence relative de tel ou tel facteur dans la recherche entreprise: «L’historien ne doit pas «isoler» un aspect de la vérité [...]; il a le devoir de chercher partout, sans opposer les sujets majeurs aux sujets mineurs, les éléments d’une explication.»Dès lors, le mouvement est lancé. L’histoire économique, alors en pleine explosion en France et en Europe, grâce aux travaux d’Ernest Labrousse, de Pierre Vilar, de Jean Bouvier pour ne citer que l’exemple français, vient aider à l’orientation des premières thèses d’État déposées dans le domaine de l’histoire des relations internationales. Dans les relations extérieures de la France avant 1914, comment l’action diplomatique de l’État a-t-elle été influencée par les moyens économiques, financiers notamment, dont la France disposait à ce moment?Pour éclairer ces recherches, un livre de méthode est publié en 1964: Introduction à l’histoire des relations internationales . Dans cet ouvrage, qui doit être classé parmi les œuvres maîtresses de l’historiographie française, P. Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle (qui lui succède alors à la Sorbonne) s’efforcent de présenter un cadre de recherches à travers le bilan des travaux antérieurs et de poser des questions de méthode destinées à susciter de nouveaux travaux. On ne trouve pas ici une réflexion théorisante à la manière d’un Raymond Aron, qui vient de publier un Paix et guerre entre les nations (1962) où le sociologue s’interroge de façon classique sur le système international, c’est-à-dire sur la nature des relations entre les États, réduisant les rapports internationaux à des relations interétatiques dominées par des rapports de force et par le recours à la guerre dû à l’absence de lois internationales réelles (cf. l’article de Marcel Merle, «Relations internationales»). Les deux auteurs, en historiens, scrutent l’action internationale des États dans le passé non pour trouver des modèles ou des schémas explicatifs, mais pour dégager des influences qui marquent le cours de l’action diplomatique. Ces influences, ce sont les «forces profondes», au cœur de la pensée de P. Renouvin. Celui-ci détermine ainsi les principaux facteurs d’influence: les conditions géographiques (les ressources du territoire, sa position, l’espace); les conditions démographiques (essor démographique, mouvements migratoires); les forces économiques (conflits des politiques économiques, expansion, coercitions, unions douanières, ententes internationales, partages d’influence); les questions financières (investissements externes, interventions de l’État, rôle de l’impérialisme financier); les traits de la mentalité collective et des grandes sentimentalités à travers le sentiment national, les nationalismes (avec ses mobiles variés, idéologiques, religieux, sa propagande), le sentiment pacifiste. Dans une seconde partie, J.-B. Duroselle montre comment l’homme d’État, avec sa personnalité propre, conscient de l’intérêt national, réagit face à ces forces profondes, soit pour en subir la pression, soit pour s’en servir avant de prendre sa décision, car «étudier les relations internationales sans tenir compte des conceptions personnelles, des méthodes, des réactions sentimentales de l’homme d’État, c’est négliger un facteur important, parfois essentiel».Voici l’histoire des relations internationales définitivement fondée en France.L’école françaiseS’il fallait une preuve de l’interdépendance entre la recherche scientifique et l’environnement «politique» (au sens de vie de la cité), c’est bien dans les travaux de l’école française d’histoire des relations internationales qu’on pourrait la trouver. Le poids grandissant des contraintes économiques dans les relations internationales, les aléas de la décolonisation, le recul relatif de la France sur la scène internationale ont contribué, autant que les règles d’accessibilité aux archives, à l’orientation des travaux de recherche pendant les années 1960. La règle des cinquante années pour consulter les fonds d’archives publiques conduisit à prendre la France de la Belle Époque comme cadre de réflexion; la France s’était dotée alors d’un vaste empire colonial, elle avait été la seconde puissance financière du globe, elle avait joué un rôle majeur dans la politique européenne, à l’époque décisive pour le monde entier. Les travaux de H. Brunschwig, de C. Coquery-Vidrovitch, de C. R. Ageron, et de J. C. Allain, plus tard de J. Marseille, décrivirent les formes de la conquête coloniale française afin de mesurer si l’impérialisme colonial français d’avant 1914 avait trouvé sa raison d’être dans un besoin d’expansion économique; leurs réponses nuancées montrèrent que l’exploitation des colonies par et au profit d’un petit nombre de groupes ne correspondait pas à une volonté impérialiste généralisée, comparable au voisin concurrent britannique, mais à l’action bien organisée d’un parti colonial minoritaire. L’impérialisme économique français se manifestait davantage dans des zones «indépendantes», comme l’Est européen, en Russie, dans l’Empire ottoman, au Maroc, mais en se heurtant souvent à l’adversaire germanique, avec lequel cependant des ententes étaient un moment possibles (jusqu’en 1911); de manière générale, l’arme financière, rendue efficace par la quantité de capitaux français disponibles pour l’exportation, était employée consciemment par l’État français, mais le monde des affaires, les banquiers notamment, divisés en eux-mêmes, agissait souvent de façon autonome (travaux de P. Guillen, R. Poidevin, R. Girault, J. Thobie, P. Milza). L’action des responsables français pouvait continuer à obéir à des desseins politiques (surtout celui de la sécurité), mais les forces profondes de l’économie jouaient un rôle certain et grandissant. En somme, l’histoire des relations extérieures de la France démontrait que cet État était entré, dès avant 1914, dans le mouvement essentiel du XXe siècle, celui de la mondialisation de l’économie à travers un capitalisme étendu à l’échelle mondiale. Ce faisant, l’école française posait le problème délicat du rapport entre les mouvements longs de la conjoncture et les choix circonstanciels politiques (le temps court). Elle ne cherchait pas à répondre à la vaine question d’une suprématie du politique sur l’économique (ou vice-versa), mais elle voulait plutôt comprendre la nature de l’interrelation milieux politiques-milieux économiques, appareil d’État-firmes privées devant la multiplicité et l’hétérogénéité des situations concrètes. En un moment où l’histoire économique s’engageait surtout vers la micro-analyse et vers une modélisation quantitativiste abstraite, où l’histoire politique était jugée (à tort) dépassée, déclinante, l’histoire des relations internationales affirmait ses prétentions à la synthèse. Ainsi, le cas spécifique de l’impérialisme français permettait d’engager une réflexion sur la réalité de l’impérialisme d’avant 1914, dégagée des mythes ou stéréotypes construits par les philosophes ou sociologues «idéologues», mais tendant vers une explication globalisante.La fuite du temps et les conditions plus libérales d’accès aux archives (règle des 30 ans acquise par la loi de 1979) entraînèrent les chercheurs à aborder la période de l’entre-deux-guerres. Désormais, la France devait limiter ses ambitions à l’aune de ses capacités économiques et d’une population diminuée; elle devait tenir compte des riches États-Unis et d’une puissance allemande agressive, avant de sombrer comme tous dans une crise économique et sociale d’envergure. C’est bien l’histoire d’un déclin qu’il fallut considérer. Les travaux de recherches menés souvent à partir d’études bilatérales, franco-allemandes, franco-américaines surtout, franco-belges, franco-espagnoles (thèses de J. Bariety, Y. M. Nouailhat, A. Kaspi, D. Artaud, E. Bussière, A. Bachoud, J.-M. Delaunay), ou bien à propos des organisations internationales, Société des Nations, conférences sur le désarmement et réarmement (N. Pietri, M. T. Mouton, M. Vaïsse, R. Frank), confirmèrent le rôle important des questions économiques dans les relations internationales, mais ils soulignèrent aussi le poids considérable des mentalités collectives et des courants idéologiques ou sentimentaux. Sous l’influence de J.-B. Duroselle, lui-même connaisseur «critique» des travaux de la politologie nord-américaine, dominante là-bas dans le domaine des relations internationales, de nouveaux axes de recherches furent dégagés; en particulier, l’analyse du processus de décision où les individualités et les petits groupes, voire les bureaucraties, jouent un rôle clef, passa au premier plan. Dans un livre vite devenu un ouvrage classique, véritable couronnement de multiples travaux scientifiques, La Décadence 1932-1939 (1979), J.-B. Duroselle sut articuler l’analyse de la conduite de la politique extérieure par des hommes d’État avec celle des forces sous-jacentes (ambiance des mentalités, machine diplomatique, intérêts économiques, forces armées). Il reprit ensuite l’essentiel de ses vues théoriques dans un nouvel ouvrage de réflexion méthodologique Tout empire périra, une vision théorique des relations internationales (1982). La vitalité de l’école française n’était plus à démontrer.Le développement internationalCette vitalité apparut dans les différents colloques organisés et les articles publiés par la nouvelle revue franco-suisse Relations internationales , fondée en 1974 par J.-B. Duroselle et Jacques Freymond (Genève); de même, lors de rencontres bilatérales franco-allemandes, franco-britanniques, franco-italiennes portant sur la période 1932-1945 ou lors de réunions multilatérales (par exemple à l’École française de Rome sur le thème «Opinion publique et politique extérieure»), il apparut que l’école française pouvait fournir une armature conceptuelle solide à ses partenaires européens. De leur côté, ceux-ci contribuèrent à infléchir certaines orientations méthodologiques. Les historiens allemands, enfin libres de s’exprimer après la Seconde Guerre mondiale, avaient porté leur attention sur la première moitié du XXe siècle afin de mesurer s’il existait ou non une continuité de l’histoire contemporaine allemande de Bismarck à Hitler, comme certains auteurs anglo-saxons le prétendaient. Un retentissant ouvrage publié en 1961 par Fritz Fischer sur les responsabilités allemandes dans les origines du premier conflit mondial avait renoué avec la traditionnelle conception allemande d’un «primat de la politique intérieure sur la politique extérieure»; Fischer établissait de manière scientifique les larges responsabilités des cadres dirigeants allemands, civils et militaires, dans le déclenchement de la guerre, ce qui provoquait un beau scandale public outre-Rhin. Bien que très critiqué, il était suivi par une véritable école historique, l’école dite de Bielefeld (nom d’une université du nord de la R.F.A.) qui mettait en relief combien les conditions internes de la société allemande et de l’économie en forte expansion avaient suscité une politique expansionniste destinée à masquer les combats politiques internes et à entraîner les classes défavorisées à se rallier par intérêt égoïste à l’impérialisme allemand. Une théorie du «social-impérialisme» était née, applicable en d’autres lieux (Grande-Bretagne, Italie, Russie, etc.); elle menait à une relecture de l’impérialisme par d’autres voies que celles qui étaient suivies en France (W. Mommsen). Ce type d’analyse, privilégiant les conditions sociales et économiques internes pour expliquer la politique extérieure d’un pays (néo-marxisme pour certains), était vivement critiqué par un autre groupe d’historiens allemands, sous l’impulsion d’A. Hillgruber et K. Hildebrand. L’autonomie du système international par rapport aux contraintes internes était soulignée par ces derniers dont les recherches sur une politique de puissance, notamment à propos du nazisme, ouvraient des pistes nouvelles. N’était-ce pas en définitive la politique extérieure qui dominait la vie politique de l’Allemagne contemporaine et expliquait le nazisme? Des travaux sur les structures de décision entre 1919 et 1945, sur les méthodes d’expansion économique et politique en Europe, sur les interférences entre la crise économique internationale et les solutions politiques internationales témoignaient de la richesse de cette école historique allemande (J. Becker, E. Jäckel, W. Michalka, K. J. Muller, H. J. Schröder, B. J. Wendt) qui à partir de bases différentes rejoignait les préoccupations françaises. La collaboration instaurée dans les années 1980 à propos d’une recherche sur «La Perception de la puissance en Europe occidentale entre 1938 et 1958 par les responsables et les opinions publiques» allait en administrer la preuve; des études parallèles sur les rapports politique-économie, politique intérieure-politique extérieure, armée et politique, groupes décisionnels et prise de décision, images des autres et de soi-même confirmaient les préoccupations communes des historiens des deux pays.Des historiens italiens et britanniques s’étaient joints à la même entreprise apportant eux aussi leur contribution particulière. En Italie, en effet, suivant les orientations de F. Chabod déjà indiquées, celles de Mario Toscano plus classiques, proches d’une histoire diplomatique rigoureuse, inspirées du droit international, celles des analystes de la politique extérieure fasciste (R. Mosca, L. Salvatorelli, G. Salvemini), les études d’histoire des relations internationales avaient surtout abordé le problème des opinions publiques et des idéologies confrontées aux aléas de la politique extérieure et la délicate question d’une chronologie cohérente de l’évolution de la diplomatie au XXe siècle: quand et pourquoi est-on passé de la diplomatie de chancellerie, type XIXe siècle, à la diplomatie actuelle si différente en ses moyens et ses buts? La théorie des forces profondes peut-elle aider à résoudre cette question? La controverse est vive en Italie.Elle l’est moins en Grande-Bretagne, où les tumultes idéologiques paraissent secondaires, l’essentiel allant vers les analyses ponctuelles. Ce pragmatisme n’interdit pas de solides réflexions méthodologiques chez certains, comme James Joll ou Donald C. Watt, professeurs à la London School of Economics and Political Science, véritable centre de l’école britannique d’histoire des relations internationales. Selon eux, il convient de replacer les décisions des hommes ou des groupes dans le contexte plus large des facteurs décisionnels, «externes» ou «internes»; les premiers, bien connus, ont trait à l’environnement politique, économique, social, tandis que les seconds proviennent de la formation culturelle, de l’éducation, de l’expérience des «décideurs»; ceux-ci agissent à partir de leur perception personnelle du réel, modelée par leurs préjugés, leurs mythes ou ceux de leur temps. Cette reconstitution de l’univers mental des décideurs et le rôle des bureaucraties dans les décisions des responsables des années 1930 a suscité des travaux novateurs (Z. Steiner, C. Andrew, G. Peden, B. Bond, M. Cowling); le genre biographique, facilité par la profusion des documents personnels conservés, est également très prisé (D. Dilks, M. Gilbert, D. Marquand).Ainsi l’histoire des relations internationales existe à l’échelle internationale, même si nous avons borné cette présentation aux principaux exemples européens reflétant un peu le fait que le continent européen a connu depuis plus longtemps une diplomatie interne active. Elle a acquis sa majorité: elle use des apports méthodologiques des sciences humaines voisines, elle se nourrit d’échanges scientifiques internationaux multiples, elle dispose d’un outillage conceptuel riche qui lui permet d’aborder la foisonnante réalité de l’après-Seconde Guerre mondiale avec une certaine logique. Car, aujourd’hui, la recherche se tourne vers les relations Est-Ouest, le processus de décolonisation, la construction européenne. Cette approche se développe à une époque où la mondialisation des rapports politiques, économiques, culturels pénètre tous les horizons nationaux, même si les nationalismes demeurent vivaces. Ce n’est point un hasard si en France la trame des programmes de terminales, qui portent sur l’après-1945, est dessinée selon la chronologie de l’histoire des relations internationales. Du coup, les spécialistes de ce domaine de l’histoire sont confrontés à des problèmes graves alors que l’histoire devient dans certains pays comme la dernière référence solide devant la crise des idéologies, philosophiques, religieuses. Quelle est la nature de l’impérialisme contemporain? Les mentalités collectives souvent marquées par les passions nationalistes, les intégrismes, les racismes peuvent-elles conduire les responsables vers des conduites agressives, vers des conflits sanglants? La géopolitique revenue très à la mode, les traditions culturelles inscrites dans la longue durée, les contraintes financières ou commerciales internationales, autant de sujets d’études brûlants. L’histoire des relations internationales se situe ainsi au cœur du débat politique de la cité. Alors que tant d’historiens «illustrissimes» se réfugiaient dans une histoire neutre, l’histoire des marginaux, de la «bouffe» et du sexe dans la longue durée qui permettait d’évacuer les questions politiques et ce diable si changeant du court terme, les historiens de la vie internationale osaient s’interroger sur les crises, les guerres mondiales, le nazisme, le fascisme, le stalinisme, la décolonisation, etc. De quoi et de qui a-t-on le plus besoin aujourd’hui?
Encyclopédie Universelle. 2012.